Sélectionner une page

Découverte aux quatre coins du monde pendant la préhistoire, la teinture végétale fût énormément utilisée en Europe avant d’être mise de côté au 19e siècle, dès l’apparition des teintures chimiques. Ce savoir-faire ancestral s’est alors peu à peu perdu, laissant place à des colorants de synthèse, beaucoup plus faciles d’utilisation mais tellement moins authentiques. À travers Couleurs Rivage, Kasia Raulin-Woznica souhaite remettre cette pratique au goût du jour.

De la chimie à la teinture végétale

Après quinze ans de chimie et une fin de carrière assez éloignée du terrain, Kasia avait besoin de retrouver ce rapport à la matière qui l’a toujours passionné. Parmi ses sources de motivation, on retrouve la volonté de créer un projet à soi, mais aussi l’amour pour le végétal. « Les plantes, c’est quelque chose de très intuitif pour moi. »

C’est grâce à un voyage en Indonésie que l’ex-chimiste s’est éprise de la teinture végétale. Là-bas, elle a découvert de grandes tentures bleu indigo réalisées grâce à la technique du batik. Ces tentures étaient disposées dans des maisons en bois, au beau milieu de la nature luxuriante. « J’ai trouvé qu’il y avait un impact visuel vraiment très fort, c’était splendide. »

Tout d’abord initiée par Caroline Cochet dans l’Entre-Deux-Mers, Kasia a poursuivi son apprentissage auprès de David Santandreu, Maître teinturier et expert de l’indigo. Mais dans la teinture végétale, il n’y a pas vraiment d’école. Alors il faut expérimenter, tester, puis analyser. Même après trois ans d’activité, Kasia avoue que l’univers de la teinture est si vaste qu’elle n’a pas encore eu le temps d’explorer toutes les possibilités.

Parmi ses créations, on retrouve des foulards, des pochettes, des coussins, des cercles de broderie, des nappes, des suspensions et autres créations sur mesure. « Un de mes objectifs en 2024, c’est de pouvoir développer des grandes tentures murales. »

Motifs unis, géométriques, tie&dye…

L’Art du teinturier par excellence est d’obtenir une étoffe unie. « Ce n’est pas forcément le plus évident, car il faut avoir des grandes cuves et savoir préparer le tissu de façon à ce que la teinture se fixe uniformément. » Si cette technique se révèle être le guide ultime d’un bon teinturier, elle n’est pas la plus fun à réaliser pour Kasia qui préfère s’éclater en réalisant des motifs.

Plusieurs techniques existent, mais l’ex-chimiste favorise le shibori -technique japonaise signifiant « tordre en serrant »-, le pliage et la broderie. Ces pratiques sont très riches et permettent une certaine liberté d’exécution. Motifs plutôt géométriques, tachetés, tie&dye ou encore dégradés… Chaque création est unique et révèle la personnalité du teinturier. Kasia préfère « donner un aspect plutôt contemporain à ces techniques pour ne pas basculer dans le côté trop ethnique. » 

Une des difficultés réside dans la reproduction d’une création. Il n’est pas simple de maîtriser parfaitement la couleur, les nuances, les motifs… « Quand je dois faire plusieurs modèles, mon métier de chimiste m’est extrêmement précieux. Je prends mon petit cahier de labo, et je note tout. »

Car tous les paramètres sont décisifs : la température, la concentration, le temps de cuve, la façon de plier… Chaque petit détail aura une influence sur le résultat final. Grâce à son travail précis et minutieux, Kasia collabore avec plusieurs boutiques bordelaises, notamment Oyat Home qui expose ses serviettes de table en gaze de coton, ses plaids, ses chemins de table et ses coussins entièrement réalisés à la main. 

Un savoir-faire minutieux

Contrairement aux idées reçues, la fixation de la teinture ne se fait pas après coloration mais plutôt en amont, grâce à une préparation minutieuse du tissu. C’est ce qu’on appelle le mordançage. « Depuis l’Antiquité, on mordance grâce à l’alun. » Cette étape est primordiale pour permettre à la teinture de rester de manière durable sur le textile. 

Certains matériaux absorbent plus facilement la couleur, c’est notamment le cas des fibres animales : laine, soie, alpaga. « Moi je travaille beaucoup le lin, mais ce n’est pas la matière la plus simple car végétale. » Sur le lin, le coton ou le chanvre, il faut préparer davantage les fibres. Ces matières nécessitent une étape supplémentaire : l’engallage. « On utilise les vertus des tanins qui viennent ensuite renforcer le mordançage. » Pour cela, Kasia trempe le tissu dans un bain de tanin, rince puis sèche avant de mordancer.

Commence ensuite l’étape de la coloration pour laquelle il vaut mieux sélectionner des teintures résistantes dans le temps, à la lumière et au lavage. Kasia en utilise quatre sous-formes d’extraits : l’indigo, les plantes à tanin, le réséda et la garance, correspondant respectivement aux couleurs bleu, brun/fauve, jaune et rouge/rose.

Dans la cuve de teinture, plusieurs extraits peuvent être mélangés pour adapter la couleur. Juste après, on peut assombrir grâce à un bain de nuançage. Pour l’indigo, la méthode est tout à fait différente car il faut travailler à froid et répéter les bains plusieurs fois, tout en laissant la couleur s’oxyder. « C’est vraiment un travail de patience. » Si vous souhaitez en apprendre davantage sur la teinture végétale, ne manquez pas les ateliers de Kasia au château de Thouars à Talence ! 

Article publié dans le 38e magazine Vivre Bordeaux